CE n° 445843 Ministre de l’Intérieur du 20 juillet 2021 (conseil de discipline et inaptitude)
Une évaluation de l’agent sur une période suffisante révélant son inaptitude est requise, une carence ponctuelle dans l’exercice des fonctions ne la caractérisant pas (CE n° 441096 communauté de communes Val de Charente du 20 juillet 2021). En revanche, il n’est pas nécessaire qu’elle ait été constatée à plusieurs reprises dans la carrière, ni qu’elle ait persisté après une invitation à y remédier.
Le ministre de l’Intérieur licencie pour ce motif un attaché d’administration contrôleur interne financier dans une préfecture, le 24 novembre 2017. Si le tribunal confirme la mesure, la cour annule la décision et enjoint au ministre de réintégrer l’intéressé.
À l’issue de sa scolarité à l’institut régional d’administration (IRA) en 2001, le fonctionnaire exerce successivement dans trois préfectures comme adjoint au responsable du contrôle de légalité des affaires juridiques, avant d’être affecté trois mois sur un emploi de chargé de mission dans ce bureau, en raison de la mauvaise qualité de son travail et de ses difficultés relationnelles. Sa manière de servir n’étant toujours pas satisfaisante, il rejoint le service interministériel de défense et de protection civile comme adjoint au chef de service. La persistance de difficultés relationnelles entre l’agent, son équipe et son responsable provoque une nouvelle affectation comme chargé de mission pour le contrôle financier interne, sans encadrement d’équipe. Là encore, l’administration estime qu’il ne donne pas satisfaction, l’intéressé opposant pour sa part ses difficultés de santé liées à un état d’épuisement professionnel. Le ministère de l’Intérieur décide finalement, en octobre 2017, d’engager une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle, le convoque devant la CAP siégeant en conseil de discipline le 26 octobre 2017, avant de l’évincer définitivement le 24 novembre.
L’examen des procédures, une garantie pour l’agent
À l’État comme dans la fonction publique territoriale, le conseil de discipline entend séparément chaque témoin, le président pouvant les confronter ou décider d’en auditionner à nouveau (articles 9 du décret n° 89–677 du 18 septembre 1989 et 5 du décret n° 84–1961 du 25 octobre 1984 pour l’État).
Or, les deux témoins de l’administration, le secrétaire général de la préfecture et le DRH, sont appelés simultanément, et déposent chacun en présence l’un de l’autre. Si le tribunal considère qu’entendus séparément, leur présence commune n’avait pas pesé sur le sens de la décision ou privé l’attaché d’une garantie, la cour estime au contraire qu’il avait été privé d’une garantie d’impartialité, le texte visant, par une audition séparée, à assurer l’indépendance et la spontanéité des déclarations des témoins.
Comme le rappelle la rapporteure publique devant le Conseil d’État, la cour administrative d’appel de Bordeaux avait précédemment été dans le sens du tribunal en estimant que le fait, pour deux témoins cités par l’employeur, de n’avoir pas été entendus séparément ne viciait pas en lui-même la procédure disciplinaire dans la mesure où, comme le prévoit par ailleurs le décret, l’agent et son conseil ont pu exprimer leur position sur chacun des témoignages, et présenter d’ultimes observations avant le délibéré (CAA Bordeaux n° 18BX03349 commune de Saint-Palais-sur-Mer du 28 juin 2019).
Le respect impératif de la composition du conseil et des délais
Analysant la jurisprudence du Conseil d’État, la rapporteure rappelle que certains éléments de procédure disciplinaire requièrent un respect scrupuleux de l’employeur, leur méconnaissance n’étant pas « rattrapable ».
Avant même la jurisprudence du 23 décembre 2011, le juge estimait que l’audition de deux témoins (le directeur de l’hôpital et le président du conseil d’administration) sans la présence du fonctionnaire poursuivi, entachait d’irrégularité la procédure, même s’ils n’avaient fait que rappeler certains éléments du rapport d’enquête disciplinaire relatant les faits reprochés, et que l’agent avait pu ensuite discuter devant le conseil de discipline (CE n° 251137 M. X du 7 mars 2005).
De même, la composition irrégulière d’un second conseil d’enquête pour un militaire, un officier ayant précédemment eu à connaître de l’affaire comme membre d’un premier conseil, alors que le code de la défense le lui interdisait (article R. 4137–71 du code de la défense), privait le militaire d’une garantie entachant d’irrégularité la sanction prononcée (CE n° 343052 M. S. du 22 février 2012).
En outre, dans les hôpitaux comme dans le secteur local, le président du conseil de discipline convoque le fonctionnaire poursuivi 15 jours au moins avant la date de la réunion par lettre recommandée avec accusé de réception. Ce délai constituant pour l’agent une garantie qui doit lui permettre de préparer utilement sa défense, sa méconnaissance vicie la consultation du conseil de discipline, sauf si le fonctionnaire a été informé de sa date au moins 15 jours à l’avance par d’autres voies. Une convocation expédiée le 10 juin, que la femme poursuivie retire le 20 à la Poste, soit 7 jours avant la réunion, la prive de cette garantie (CE n° 416818 Mme A du 24 juillet 2019).
Les droits de la défense
Avant toute sanction, l’employeur informe l’agent par écrit de la procédure disciplinaire engagée, lui précise les faits reprochés et la possibilité d’obtenir la communication intégrale de son dossier au siège de la collectivité, et de se faire assister des conseils de son choix. Il doit disposer d’un délai suffisant pour en prendre connaissance et organiser sa défense, le dossier et les annexes étant numérotés (article 4 du décret).
S’il y a lieu de saisir le conseil de discipline, l’employeur le saisit d’un rapport précisant les faits et les circonstances de leur réalisation (article L. 532–9 du code), invite l’agent à en prendre connaissance, qui peut présenter devant le conseil des observations écrites ou orales. Lorsqu’il examine l’affaire, son président lit ce rapport en séance et les observations écrites de l’agent (articles 5, 6 et 9 du décret).
Pour le juge, la communication du rapport de l’employeur, en temps utile avant la séance, au fonctionnaire et aux membres du conseil de discipline, satisfait à l’objectif de respect des droits de la défense en vue duquel la lecture est prévue par les textes. Ainsi, la lecture en séance ne peut pas être regardée en elle-même comme une garantie dont la seule méconnaissance entacherait d’illégalité la décision prise à l’issue de la procédure (CE n° 352878 M. A du 12 février 2014).
L’avis du conseil de discipline et la sanction doivent être motivés (article L. 532–5 du code). Cette exigence constitue aussi une garantie pour l’agent. Mais elle peut être attestée par la production, sinon de l’avis lui-même, du procès-verbal de la réunion de la CAP comportant des mentions suffisantes. Si, inversement, aucun avis motivé du conseil, ni procès-verbal de sa réunion ne sont fournis, l’exigence de motivation n’est pas respectée (CE n° 435352 M. A du 12 février 2021).
Un examen au cas par cas de l’audition des témoins
Mais, en contrepoint de ces éléments de procédure dont le respect s’impose strictement à l’employeur, la rapporteure publique rappelle que d’autres peuvent, selon les circonstances, ne pas avoir effectivement privé l’agent de cette garantie, supposant une analyse au cas par cas des éléments susceptibles de satisfaire à l’objectif visé par cette garantie, comme les impératifs d’impartialité, de respect des droits de la défense ou du contradictoire.
Elle invite le Conseil d’État à une approche « réaliste » des situations. Ainsi, l’audition simultanée de témoins peut recouvrir des situations très différenciées, selon qu’ils sont cités par l’employeur ou l’agent, selon leur identité et le lien avec le fonctionnaire ou le déroulé des auditions dans le temps. En soi, le caractère simultané de l’audition des témoins ne caractérise pas une privation de garantie.
A son tour, le juge estime que la cour devait rechercher si l’appel simultané du secrétaire général et du DRH et leur témoignage en présence l’un de l’autre avaient, eu égard à leurs fonctions, à l’origine de leur citation et à la teneur de leurs propos, effectivement privé l’attaché de la garantie qui s’attache à la sincérité des témoignages. Sur ce plan, la cour a commis une erreur de droit.
CE n° 445843 Ministre de l’Intérieur du 20 juillet 2021 et concl.
Pierre-Yves Blanchard le 12 juillet 2022 - n°1775 de La Lettre de l'Employeur Territorial
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