CAA Marseille n° 19MA02879 M. C du 9 février 2021 (compte épargne-temps)

N° 19MA02879
Président
M. BADIE
Rapporteur
M. Didier URY
Rapporteur public
M. ANGENIOL
Avocat(s)
BETROM
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 592,50 euros en réparation des préjudices résultant de la mauvaise gestion par son employeur de son compte épargne-temps (CET).
Par un jugement n° 1704466 du 29 avril 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. C....
Procédure contentieuse devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 juin 2019, M. B... C..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 avril 2019 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 12 342,50 euros en réparation des préjudices résultant de la mauvaise gestion par son employeur de son compte épargne-temps (CET) ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'article 6 du décret n° 2002-634 a été méconnu faute pour l'administration de l'informer du droit d'opter pour l'indemnisation de ses jours placés sur le CET, ainsi qu'en dispose le droit européen ;
- son préjudice financier et moral initialement fixé à 3 592,24 euros s'est aggravé par l'impossibilité pour lui d'assister sa femme atteinte d'une grave maladie invalidante en raison du refus de lui verser ses jours de congés payés, qui doit être indemnisé à hauteur de 8 750 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2020, le ministre de l'intérieur, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Une ordonnance du 2 novembre 2020 a fixé la clôture de l'instruction au 20 novembre 2020 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 2002-634 du 29 avril 2002,
- l'arrêté du 8 avril 2003 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ury, rapporteur,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., agent de catégorie C du ministère de l'intérieur, a été détaché au département des Bouches-du-Rhône du 1er novembre 2014 au 13 juillet 2016, date à laquelle il a été intégré dans le corps des agents techniques territoriaux. En 2017, il a sollicité le bénéfice du solde de jours épargnés sur son compte épargne temps (CET) avant son détachement, ce qui lui a été refusé par décision du 23 février 2017 au motif que le CET ne peut pas être transféré de la fonction publique d'Etat à la fonction publique territoriale. Sa demande de paiement des
24,5 jours CET a également été rejetée. M. C... fait appel du jugement n° 1704466 du 29 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant à faire condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 592,50 euros en réparation des préjudices résultant de la mauvaise gestion par son employeur de son compte épargne-temps (CET).
Sur les conclusions indemnitaires :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (...). ". Aux termes de l'article 2 du décret du 17 juillet 1985 : " (...). Les fonctionnaires (...) ne peuvent bénéficier d'aucune indemnité autre que celles fixées par une loi ou un décret (...). ".
3. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ". Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ces dispositions font obstacle à ce que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de cette période s'éteigne à l'expiration de celle-ci. Le droit au report des congés annuels non exercé pour ce motif n'est toutefois pas illimité dans le temps. Si, selon la Cour, la durée de la période de report doit dépasser substantiellement celle de la période au cours de laquelle le droit peut être exercé, pour permettre à l'agent d'exercer effectivement son droit à congé sans perturber le fonctionnement du service, la finalité même du droit au congé annuel payé, qui est de bénéficier d'un temps de repos ainsi que d'un temps de détente et de loisirs, s'oppose à ce qu'un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives, puisse avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, qu'une durée de report de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l'article 7 de la directive.
4. Aux termes de l'article 5 du décret du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux : " (...) le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par l'autorité territoriale. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ". Ces dispositions réglementaires, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, sont, dans cette mesure, incompatibles avec les dispositions de l'article 7 de la directive 2003/88/CE citées au point 2 et, par suite, illégales. En revanche, ces mêmes dispositions permettent en principe à l'autorité territoriale de rejeter une demande de report des jours de congés annuels non pris par un fonctionnaire territorial en raison d'un congé de maladie lorsque cette demande est présentée au-delà d'une période de quinze mois qui suit l'année au titre de laquelle les droits à congé annuels ont été ouverts.
5. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction que M. C... a été placé en congé de maladie avant de solliciter le bénéfice de son CET. Ainsi, à supposer que les jours épargnés sur un CET puissent être regardés comme présentant le caractère de congés annuels au sens de la directive précitée, l'intéressé n'est pas fondé à se prévaloir de ces dispositions, en tant qu'elles ne permettent pas à un employeur public de refuser de payer tout congé payé qu'un agent, en congé de maladie, n'a pas pris avant son détachement.
6. En second lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 29 avril 2002 portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat : " Il est institué dans la fonction publique de l'Etat un compte épargne-temps. Ce compte est ouvert à la demande de l'agent, qui est informé annuellement des droits épargnés et consommé (...) ". Aux termes de l'article 6 de ce décret, alors applicable : " Lorsque, au terme de chaque année civile, le nombre de jours inscrits sur le compte épargne-temps est supérieur au seuil mentionné à l'article 5 : I. - Les jours ainsi épargnés n'excédant pas ce seuil ne peuvent être utilisés par l'agent que sous forme de congés, pris dans les conditions mentionnées à l'article 3 du décret du 26 octobre 1984 susvisé. II. - Les jours ainsi épargnés excédant ce seuil donnent lieu à une option exercée au plus tard le 31 janvier de l'année suivante : 1° L'agent titulaire mentionné à l'article 2 ou le magistrat mentionné à l'article 2 bis opte dans les proportions qu'il souhaite : a) Pour une prise en compte au sein du régime de retraite additionnelle de la fonction publique dans les conditions définies à l'article 6-1 ; b) Pour une indemnisation dans les conditions définies à l'article 6-2 ; c) Pour un maintien sur le compte épargne-temps dans les conditions définies à l'article 6-3. Les jours mentionnés au a et au b sont retranchés du compte épargne-temps à la date d'exercice d'une option. ". L'arrêté du 28 août 2009 pris pour l'application du décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 modifié portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature a fixé le seuil mentionné aux articles 5 et 6 du décret du 29 avril 2002 à vingt jours.
7. Aux termes de l'article 10 du décret du 29 avril 2002, alors applicable : " En cas de mutation, de mise à disposition, de détachement ou de placement en position hors cadre auprès d'une administration de l'Etat ou d'un de ses établissements publics administratifs, l'agent conserve le bénéfice de son compte épargne-temps. " Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 8 avril 2003 portant application du décret du 29 avril 2002 : " (...) Les fonctionnaires en détachement ou mis à disposition hors de la fonction publique de l'Etat conservent les droits à congés acquis au titre du compte épargne-temps défini par le décret du 29 avril 2002 susvisé, l'alimentation et l'utilisation du compte étant suspendues pendant la durée du changement de position. ".
8. Premièrement, il résulte de la lettre du 23 février 2017 adressée à M. C... sous le timbre de la sous-direction des ressources humaines du ministère de l'intérieur (bureau des personnels techniques et spécialisés) que M. C... bénéficiait d'un reliquat de 24,5 jours sur son CET au 1er novembre 2014, date de son détachement au sein du département des Bouches-du-Rhône, et non comme l'indiquait par erreur l'attestation établie le 8 septembre 2014 par le chef du bureau, d'un reliquat de seulement 20 jours.
9. Deuxièmement, il résulte de l'instruction, qu'avant le 1er novembre 2014, date de son détachement au département des Bouches-du-Rhône, M. C... a utilisé 45 jours de son CET entre le 1er septembre 2014 et le 31 octobre 2014, et qu'il lui restait 24,5 jours sur ce compte. M. C... soutient que l'administration a commis une faute dans l'application de l'article 6 précité du décret du 29 avril 2002 en ne l'informant pas de la possibilité de monétiser ses jours CET par une demande de paiement formée au plus tard le 21 décembre 2015 ou de les utiliser sous forme de congés avant le 13 juillet 2016, date de son intégration dans la fonction publique territoriale. Cependant, d'une part, il résulte des dispositions citées au point 11 que l'intéressé ne pouvait pas exercer ces options durant la période de son détachement hors de la fonction publique d'Etat.
D'autre part, aucun principe général du droit, ni aucune disposition législative ou règlementaire, ne permet l'indemnisation des reliquats d'un compte épargne temps qui n'aurait pas été soldé en temps utile avant le début du détachement d'un agent de l'Etat dans une collectivité territoriale.
Ainsi, M. C..., qui a exercé partiellement son droit d'option avant le début de son détachement, n'est pas fondé à demander l'indemnisation des jours de son CET qu'il n'a pas soldés avant la fin de ses fonctions au sein du ministère de l'intérieur, au motif d'une carence de cette administration dans l'information ou la gestion des jours épargnés sur son CET.
10. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qui refuse de lui accorder l'indemnisation des jours de congés placés sur son compte épargne-temps.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.
Pierre-Yves Blanchard le 12 avril 2022 - n°1762 de La Lettre de l'Employeur Territorial
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