Tribunal administratif de Caen, 2ème chambre, n° 1900482 du 25 septembre 2024

25 septembre 2024 / n° 1900482
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 mars 2019, 10 avril 2019 et 1er avril 2021, M. B A demande au tribunal d'annuler la décision du 18 janvier 2019 par laquelle le directeur général des entreprises lui a infligé un blâme.
M. A soutient que :
- sa présence à l'ensemble des réunions auxquelles il était convié n'était pas une obligation ;
- ses absences à plusieurs entretiens professionnels étaient justifiées par l'usage de son droit de retrait ;
- le fait d'avoir manifesté son opposition à la mise en place d'un plan d'action pour l'organisation de l'inspection du travail à l'Autorité de sûreté nucléaire n'est pas fautif et le reproche formulé à cet égard porte atteinte à sa liberté d'opinion ;
- l'utilisation du contenu d'un compte rendu d'entretien professionnel d'un autre agent dans le cadre d'échanges avec la hiérarchie et d'un recours en révision formé devant la commission administrative paritaire ne méconnaît pas le devoir de discrétion professionnelle ;
- le manquement au devoir de courtoisie allégué n'est pas établi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens exposés dans la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pringault, conseiller ;
- les conclusions de M. Blondel, rapporteur public ;
- et les observations de M. A.
Considérant ce qui suit :
1. M. B A, ingénieur de l'industrie et des mines, est affecté à l'Autorité de sûreté nucléaire depuis le 1er octobre 2007. Il a exercé, entre 2011 et 2019, des fonctions d'inspection du travail dans des centrales nucléaires. Sa hiérarchie lui reprochant des manquements à l'obligation d'obéissance hiérarchique, au devoir de discrétion professionnelle et au devoir de courtoisie, M. A s'est vu infliger, le 18 janvier 2019, un blâme.
Par sa requête, il demande l'annulation de cette sanction disciplinaire.
2. Aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors en vigueur : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : / - l'avertissement ; / - le blâme (). / Parmi les sanctions du premier groupe, seul le blâme est inscrit au dossier du fonctionnaire. Il est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucune sanction n'est intervenue pendant cette période () ".
3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
4. En premier lieu, aux termes de l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public () ".
5. En l'espèce, le directeur général des entreprises a reproché à M. A d'avoir manifesté son opposition et son mécontentement face à la mise en place d'un plan d'action pour l'organisation de l'inspection du travail à l'Autorité de sûreté nucléaire, en relevant que l'agent a " choisi de se placer dans une posture conflictuelle plutôt que de dialogue ". L'existence d'une contestation par M. A du bien-fondé de cette réforme, même exprimée de manière polémique, ne caractérise pas, à elle seule, l'existence d'un manquement à l'obligation d'obéissance hiérarchique de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire.
6. Toutefois, d'une part, aux termes de l'article 2 du décret du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l'Etat : " Le fonctionnaire bénéficie chaque année d'un entretien professionnel qui donne lieu à compte rendu. / Cet entretien est conduit par le supérieur hiérarchique direct. / La date de cet entretien est fixée par le supérieur hiérarchique direct () ". Aux termes de l'article 5-6 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique, dans sa rédaction applicable au litige : " I - L'agent alerte immédiatement l'autorité administrative compétente de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. / Il peut se retirer d'une telle situation. () II. - Aucune sanction () ne peut être prise à l'encontre d'un agent ou d'un groupe d'agents qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux () ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A a refusé de participer aux entretiens professionnels organisés au titre des années 2016 et 2017, arguant notamment, dans un courriel du 24 mars 2017, de leur inutilité. Si l'agent soutient que ses refus de participer à ces deux entretiens professionnels avec son supérieur hiérarchique direct auraient été justifiés par son droit de retrait, il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'il aurait alerté sa hiérarchie de ce qu'il avait un motif raisonnable de penser que sa situation de travail, aux dates qui lui étaient proposées pour la tenue des entretiens organisés au titre des années 2016 et 2017, présentait un danger grave et imminent justifiant qu'il fasse usage de son droit de retrait. M. A n'est dès lors pas fondé à soutenir que son refus de participer aux entretiens professionnels organisés au titre des années 2016 et 2017 était justifié par son droit de retrait.
8. D'autre part, il est constant que M. A ne participait que rarement aux réunions hebdomadaires du pôle dont il relevait. S'il soutient qu'aucune instruction ne lui a été donnée quant à ses obligations de participer aux réunions hebdomadaires du pôle, il ressort des pièces du dossier, notamment des comptes rendus d'entretiens professionnels établis pour les années 2016 et 2017, que sa hiérarchie a relevé à plusieurs reprises qu'il ne participe en général qu'aux réunions internes des inspecteurs du travail et pas à celles du pôle REP et lui a fixé comme objectif pour l'année 2017 de " participer davantage au collectif du pôle REP ", cet objectif ayant été réitéré pour l'année 2018 en l'absence de changement de comportement de l'agent. S'il soutient par ailleurs que sa participation systématique aux réunions REP n'est pas nécessaire, il n'appartient pas à un agent public de remettre en cause de sa propre initiative la nécessité de sa présence à des réunions organisées par sa hiérarchie et pour lesquelles cette dernière demande sa présence.
9. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les refus de M. A de participer à ses entretiens professionnels ainsi qu'à plusieurs réunions organisées par sa hiérarchie sont de nature à caractériser une méconnaissance fautive de l'obligation d'obéissance hiérarchique, indépendamment de la prise en compte de son comportement lors de la mise en place d'un plan d'action pour l'organisation de l'inspection du travail à l'Autorité de sûreté nucléaire.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " () Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté d'accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent être déliés de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l'autorité dont ils dépendent ". Aux termes de l'article 39 du décret du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires : " Les membres des commissions administratives sont soumis à l'obligation de discrétion professionnelle en ce qui concerne tous les faits et documents dont ils ont eu connaissance en cette qualité ".
11. Il ressort des pièces du dossier que M. A a, dans le cadre de sa contestation de l'appréciation de sa manière de servir au titre de l'année 2016, consulté et utilisé un compte rendu d'entretien professionnel d'un de ses collègues, accessible sur le réseau commun du pôle. Si la communication d'un tel document à des tiers est susceptible de constituer une faute, la référence au contenu de ce document dans un courriel transmis à l'agent concerné le 4 avril 2017, dans un recours hiérarchique exercé le 8 avril 2018 et dans un recours en révision exercé le 18 mai 2018 devant la commission administrative paritaire ne constitue pas par elle-même une méconnaissance de l'obligation de discrétion professionnelle, les membres de cette instance paritaire étant tenus, comme le prévoit le décret du 28 mai 1982 précité, de ne pas divulguer les faits et documents dont ils ont eu connaissance en cette qualité. Au regard de ces éléments, M. A ne peut être regardé comme ayant divulgué des informations ou documents à des personnels non habilités ou à des tiers, en méconnaissance de l'obligation de discrétion professionnelle.
12. En dernier lieu, il est reproché à M. A d'avoir manqué au devoir de courtoisie à l'égard de la secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il ressort des pièces du dossier que, dans un courriel du 15 mai 2018, M. A a notamment affirmé, pour contester les conclusions de l'enquête administrative réalisée à la suite de son signalement de faits possiblement constitutifs de harcèlement moral, que " l'ASN a contourné et instrumentalisé le CHSCT avec la complicité de sa secrétaire ", que " la secrétaire du CHSCT a même tenté de décrédibiliser ses camarades du CHSCT " et a indiqué espérer " que la secrétaire du CHSCT saura prendre conscience de la gravité de ses actes et tirer les conséquences en démissionnant du CHSCT ", lui reprochant d'avoir " participé à de telles compromissions ". Ces propos, qui constituent un manquement à son devoir de courtoisie envers une représentante du personnel, revêtent un caractère fautif.
13. Il s'ensuit que si le motif tiré de la méconnaissance de l'obligation de discrétion professionnelle ne pouvait, en l'espèce, légalement justifier la sanction disciplinaire infligée à M. A, il résulte de l'instruction que le directeur général des entreprises aurait pris la même décision en se fondant sur les seuls manquements à l'obligation d'obéissance hiérarchique et au devoir de courtoisie commis par l'agent. Il s'ensuit que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision par laquelle le directeur général des entreprises a prononcé un blâme à son encontre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Marchand, président,
Mme Pillais, première conseillère,
M. Pringault, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2024.
Le rapporteur,
Signé
S. PRINGAULT
Le président,
Signé
MARCHAND
Le greffier,
Signé
J. LOUNIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
J. Lounis
Paul Durand le 08 octobre 2024 - n°1876 de La Lettre de l'Employeur Territorial
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