CAA Versailles n° 15VE01870 M. A du 19 mai 2016 (peine de prison et licenciement)

N° 15VE01870
5ème chambre
M. LE GARS, président
M. Rudolph D'HAËM, rapporteur
Mme MEGRET, rapporteur public
SEINGIER, avocat
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...C...a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 10 juin 2014 par lequel le maire de la commune du Bourget lui a infligé la sanction de révocation.
Par une ordonnance n° 1501160 du 13 avril 2015, le président du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 13 juin 2015 et le 17 novembre 2015, M.C..., représenté par Me Seingier, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler cette ordonnance ;
2° d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté du 10 juin 2014 ;
3° d'enjoindre au maire de la commune du Bourget de le réintégrer ;
4° de mettre à la charge de la commune du Bourget le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité dès lors que le président du tribunal administratif s'est fondé sur les dispositions du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative sans l'avoir invité préalablement à régulariser sa demande et, en particulier, à préciser le moyen qu'il avait soulevé et tiré de l'erreur manifeste d'appréciation entachant la sanction disciplinaire prononcée à son encontre ;
- l'ordonnance attaquée est irrégulière dès lors que le président du tribunal administratif a omis de répondre à ce moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'expédition de l'ordonnance qui lui a été adressée ne lui permet pas de vérifier si la minute comporte les signatures prescrites par les dispositions des articles R. 741-7 et R. 741-8 du code de justice administrative ;
- l'arrêté attaqué est illégal dès lors que l'avis du conseil de discipline en date du 23 avril 2014 est entaché d'irrégularité ; en effet, l'un des membres de ce conseil, qui est un proche du maire de la commune, ne présentait pas les qualités d'indépendance et d'impartialité requises, en méconnaissance des exigences de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe d'impartialité ;
- compte tenu de sa situation professionnelle et de sa manière de servir, de son attitude à la suite de la révélation des faits qui lui ont été reprochés et des conséquences de la mesure disciplinaire sur sa situation par rapport à ces faits, la sanction de révocation prononcée à son encontre revêt un caractère disproportionné.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. d'Haëm ;
- les conclusions de Mme Mégret, rapporteur public ;
- et les observations de MeB..., pour la commune du Bourget.
1. Considérant que M.C..., qui a été recruté en 1997 par la commune du Bourget en qualité d'agent d'animation non titulaire, puis titularisé le 1er mars 2002 dans le grade d'adjoint d'animation principal de 2ème classe, relève appel de l'ordonnance du 13 avril 2015 prise sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative par laquelle le président du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 juin 2014 du maire de la commune lui infligeant la sanction de révocation ;
Sur les conclusions à fin d'annulation et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la commune du Bourget à la demande de première instance :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 23 du décret du 18 septembre 1989 susvisé relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux : " Les recours formés en application des articles 91 et 93 de la loi du 26 janvier 1984 précitée doivent être présentés au conseil de discipline de recours dans le mois suivant la notification de la décision contestée. Ils sont enregistrés à la date de réception de la demande au secrétariat du conseil (...) " ; qu'aux termes de l'article 16 du même décret : " La sanction prononcée par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire est immédiatement exécutoire, nonobstant la saisine du conseil de discipline de recours. / Le délai du recours contentieux ouvert contre la décision prononçant la sanction disciplinaire est suspendu jusqu'à notification soit de l'avis du conseil de discipline de recours déclarant qu'il n'y a pas lieu de donner suite à la requête qui lui a été présentée, soit de la décision définitive de l'autorité territoriale. " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, l'arrêté litigieux du 10 juin 2014 ayant été régulièrement notifié à M. C...le 13 juin 2014, l'intéressé a saisi, le 4 juillet 2014, le conseil de discipline de recours, ce qui a eu pour effet, en application des dispositions précitées, de suspendre le délai de recours contentieux ouvert contre cet arrêté ; que si la commune du Bourget fait valoir que la demande de M.C..., enregistrée le 4 février 2015 au greffe du tribunal administratif et tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 juin 2014, était tardive, le délai de recours contentieux ayant recommencé à courir " au plus tard ", compte tenu du " délai normal d'acheminement du courrier ", le 20 décembre 2014, soit à compter de la date de notification à l'intéressé de l'avis rendu par le conseil de discipline de recours dans sa séance du 17 octobre 2014, elle ne fournit aucun élément de nature à établir la date de notification à M. C... de cet avis ; qu'ainsi, sa demande, enregistrée le 4 février 2015 au greffe du tribunal administratif, ne peut être regardée comme tardive ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune du Bourget et tirée de l'irrecevabilité de cette demande ne peut être accueillie ;
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté attaqué :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 susvisé : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. " ; qu'aux termes de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : / (...) Quatrième groupe : / (...) - la révocation (...). " ;
5. Considérant qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'alors qu'il était affecté au service des affaires générales de la commune du Bourget chargé, notamment, de recueillir les dossiers de demande de passeport avant transmission par voie dématérialisée à la préfecture pour instruction par les services de l'Etat, M. C...a dérobé, à huit reprises entre les mois d'avril et octobre 2013 et afin de permettre à certains usagers, à savoir des amis, des connaissances ou leurs parents, de ne pas acquitter les timbres fiscaux afférents aux demandes de passeport, des timbres originaux dans des dossiers déjà instruits et archivés en mairie et les a remplacés par des photocopies en couleur ; que l'intéressé a également, afin de couvrir ses agissements, apposé de nouveau le sceau de la ville sur les timbres ainsi dérobés ou remplacés ; que ces faits lui ont valu une condamnation, par un jugement du 23 janvier 2014 du Tribunal correctionnel de Bobigny, à une peine d'emprisonnement de six mois avec sursis ; que de tels agissements sont de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
7. Considérant, toutefois, qu'eu égard, d'une part, à l'ancienneté de M.C..., employé par la commune du Bourget depuis 1997, et les appréciations portées par son employeur sur sa manière de servir qui a donné toute satisfaction jusqu'à la commission des faits incriminés, d'autre part, à la nature des faits commis par l'intéressé, qui n'a pas porté atteinte aux conditions de sécurité devant prévaloir dans l'instruction des demandes de passeport et leur délivrance et, enfin, à l'absence de toute contrepartie ou enrichissement personnel avéré, le maire de la commune du Bourget, en infligeant à M. C...la sanction la plus grave dans l'échelle des sanctions disciplinaires, doit être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant prononcé une sanction revêtant un caractère disproportionné par rapport à la gravité certaine de la faute commise par l'intéressé ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M.C..., que ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 juin 2014 du maire de la commune du Bourget lui infligeant la sanction de révocation ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ;
10. Considérant que l'annulation d'une décision prononçant la révocation d'un agent implique nécessairement la réintégration de l'intéressé à la date de son éviction ; que, par suite, il y a lieu d'ordonner au maire de la commune du Bourget de réintégrer M. C...à compter du 13 juin 2014, date d'effet de sa révocation ;
Sur les dépens :
11. Considérant qu'aucun dépens n'a été exposé au cours de l'instance d'appel ; que les conclusions présentées à ce titre par M. C...ne peuvent donc qu'être rejetées ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune du Bourget demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
13. Considérant, d'autre part, que M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 70 % par une décision du bureau d'aide juridictionnelle établi près le Tribunal de grande instance de Versailles en date du 2 octobre 2015 ; qu'il n'allègue pas avoir engagé d'autres frais que ceux partiellement pris en charge à ce titre ; que, d'autre part, l'avocat de M. C... n'a pas demandé la condamnation de la commune du Bourget à lui verser la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié de l'aide juridictionnelle ; que, dans ces conditions, il y a donc lieu de condamner la commune du Bourget à rembourser à M. C...la part des frais exposés par lui, non compris dans les dépens et laissés à sa charge par le bureau d'aide juridictionnelle ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1501160 du président du Tribunal administratif de Montreuil en date du 13 avril 2015 et l'arrêté du 10 juin 2014 du maire de la commune du Bourget infligeant à M. C...la sanction de révocation sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au maire de la commune du Bourget de réintégrer M. C...à compter du 13 juin 2014.
Article 3 : La commune du Bourget paiera à M. C...la part des frais exposés par lui, non compris dans les dépens et laissés à sa charge par la décision du 14 août 2015 du bureau d'aide juridictionnelle établi près le Tribunal de grande instance de Versailles.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. C...et les conclusions présentées par la commune du Bourget au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Dans une affaire, le maire révoque le 10 juin 2014 un adjoint d’animation principal de 2e classe affecté au service des affaires générales de la commune et chargé de recueillir les dossiers de demande de passeport avant de les transmettre par voie dématérialisée à la préfecture pour instruction par l’État. Il dérobe à 8 reprises, entre avril et octobre 2013, des timbres originaux dans des dossiers déjà instruits et archivés, qu’il remplace par des photocopies couleurs, pour permettre à des amis, des connaissances ou leurs parents de ne pas acheter les timbres fiscaux requis par les demandes de passeport. Pour couvrir ses agissements, il appose de nouveau le sceau de la ville sur les timbres dérobés ou remplacés. Ces pratiques, qui lui valent une condamnation à 6 mois de prison avec sursis, sont bien de nature à justifier une sanction.
Cependant, eu égard à l’ancienneté du fonctionnaire, employé depuis 1997, aux appréciations élogieuses portées sur sa manière de servir, à la nature des faits commis par l’intéressé, qui n’a pas porté atteinte aux conditions de sécurité devant prévaloir dans l’instruction des demandes de passeports et à leur délivrance, et, enfin, à l’absence de toute contrepartie ou enrichissement personnel avéré, pour la cour, le maire a prononcé une sanction disproportionnée.
À retenir : dans cette affaire, on ne peut qu’être frappé par la difficulté de mise en œuvre du contrôle de l’erreur d’appréciation dans le prononcé de la sanction, le tribunal correctionnel infligeant à l’agent 6 mois de prison avec sursis, quand la cour administrative ne considère pas que les mêmes faits puissent fonder un licenciement.
CAA Versailles n° 15VE01870 M. A du 19 mai 2016.
Pierre-Yves Blanchard le 30 mai 2017 - n°1539 de La Lettre de l'Employeur Territorial
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