CAA Marseille n° 19MA02446 M. C du 5 décembre 2019 (révocation et manquements à la probité)

N° 19MA02446
Président
M. ALFONSI
Rapporteur
Mme Karine JORDA-LECROQ
Rapporteur public
M. ARGOUD
Avocat(s)
BELAICHE
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 23 mai 2016 par lequel le maire de la commune d'Avignon a prononcé sa révocation et la décision d'irrecevabilité prise par le conseil de discipline de recours de la fonction publique territoriale de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur du 13 septembre 2016 et d'enjoindre à la commune d'Avignon de le réintégrer dans ses effectifs et de reconstituer sa carrière dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1603250 du 8 novembre 2018, le tribunal administratif de Nîmes a donné acte du désistement de M. D... s'agissant des conclusions dirigées contre la décision d'irrecevabilité du conseil de discipline de recours de la fonction publique territoriale de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur du 13 septembre 2016 et a rejeté le surplus de cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 29 mai 2019 et le 30 octobre 2019, M. D..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 8 novembre 2018 en tant que par ce jugement le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du maire de la commune d'Avignon du 23 mai 2016 et d'injonction ;
2°) d'annuler l'arrêté du maire de la commune d'Avignon du 23 mai 2016 ;
3°) d'enjoindre à la commune d'Avignon de le réintégrer dans ses effectifs et de reconstituer sa carrière dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de la commune d'Avignon la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les premiers juges ont insuffisamment répondu au moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte, en l'absence de motivation du jugement relative au caractère exécutoire de l'arrêté de délégation et à la nomination dans ses fonctions du fonctionnaire auquel était conférée la délégation ;
- les premiers juges ont insuffisamment fait usage de leurs pouvoirs d'instruction en s'abstenant de demander la communication des images de vidéo surveillance ;
- la compétence du signataire de l'acte n'est pas établie ;
- la décision litigieuse est insuffisamment motivée ;
- la matérialité des faits et leur nature fautive n'est pas établie ;
- la sanction n'est pas proportionnée aux faits reprochés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2019, la commune d'Avignon, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. D... d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 29 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G...,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant M. D..., et de Me A..., représentant la commune d'Avignon.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., qui était adjoint technique principal de 1ère classe et exerçait les fonctions de chauffeur au service transport du garage municipal de la commune d'Avignon, relève appel du jugement du 8 novembre 2018 en tant que par ce jugement, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du maire de cette commune du 23 mai 2016 prononçant sa révocation et d'injonction sous astreinte de réintégration dans les effectifs de la commune et de reconstitution de sa carrière.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des termes du jugement attaqué que pour écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte, les premiers juges ont expressément relevé que M. C... F..., recruté par un contrat d'engagement du 23 janvier 2015 sur l'emploi de directeur général des services de la commune d'Avignon, disposait d'une délégation de signature l'habilitant à signer, au nom du maire, les actes relevant de l'activité de certains services municipaux, au nombre desquels figurent les décisions relevant du service des ressources humaines, en vertu d'un arrêté du 28 janvier 2015, transmis au contrôle de légalité et affiché en mairie le 30 janvier 2015. Ils ont ainsi suffisamment répondu à ce moyen, en particulier aux arguments relatifs au caractère exécutoire de l'arrêté de délégation et à la nomination dans ses fonctions du fonctionnaire auquel était conférée la délégation.
3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. Le cas échéant, il revient au juge de mettre en oeuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments utiles de nature à lui permettre de former sa conviction. En l'espèce, le tribunal, qui disposait de tous les éléments nécessaires afin de trancher le litige, n'a pas méconnu son office en s'abstenant de faire usage de ses pouvoirs généraux d'instruction afin de solliciter de la commune la production des images de vidéo surveillance mises en place au sein de la fourrière d'Avignon pour garantir la sécurité du site.
Sur la légalité de l'arrêté du 23 mai 2016 :
4. Il ressort des pièces du dossier que M. C... F..., directeur général des services de la commune d'Avignon, disposait en vertu d'un arrêté du 28 janvier 2015, affiché en mairie le 30 janvier 2015 et transmis aux services du contrôle de légalité de la préfecture le même jour, d'une délégation l'habilitant à signer, au nom du maire, les actes relevant de l'activité de certains services municipaux, dont les décisions relevant du service des ressources humaines compétent au nombre desquelles figurent les sanctions disciplinaires. Cet arrêté, qui était ainsi exécutoire à la date de l'arrêté en litige du 23 mai 2016, définissait avec une précision suffisante l'objet et l'étendue de la compétence déléguée. En outre, le contrat d'engagement de M. C... F... du 23 janvier 2015 sur l'emploi de directeur général des services de la commune d'Avignon a été transmis en préfecture le 9 février 2015 et publié au recueil des actes administratifs du personnel de la ville d'Avignon la même année. Dès lors, ce contrat était exécutoire de plein droit à la date à laquelle a été pris l'arrêté du 23 mai 2016. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cet arrêté doit être écarté.
5. Il ressort des termes de l'arrêté litigieux que celui-ci mentionne en particulier que les faits reprochés à M. D... sont principalement des vols sur des biens placés sous sa garde, d'enregistrements de collègues à leur insu, de chantage et de fausses déclarations d'heures supplémentaires. Il comporte ainsi les considérations de fait sur lesquelles il se fonde. Il est, par suite, suffisamment motivé en fait alors même que n'y sont indiquées ni la nature exacte des objets volés ni la durée et la date de déclaration des heures supplémentaires indûment rémunérées.
6. En l'absence de dispositions législatives contraires, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen. Toutefois, tout employeur public est tenu, vis-à-vis de ses agents, à une obligation de loyauté. Il ne saurait, par suite, fonder une sanction disciplinaire à l'encontre de l'un de ses agents sur des pièces ou documents qu'il a obtenus en méconnaissance de cette obligation, sauf si un intérêt public majeur le justifie. Il appartient au juge administratif, saisi d'une sanction disciplinaire prononcée à l'encontre d'un agent public, d'en apprécier la légalité au regard des seuls pièces ou documents que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire pouvait ainsi retenir.
7. Il est constant que M. D... s'est rendu le dimanche 22 février 2015, en dehors de ses heures de travail et d'astreinte, sur son lieu de travail. Le témoignage d'un agent d'astreinte, dont les constats sont corroborés par celui du chef de la police municipale qui a visionné les enregistrements des caméras de surveillance du site, a indiqué qu'à cette occasion M. D... s'était emparé, avec la complicité d'un collègue de travail, de pièces provenant d'un véhicule Renault, de type Scénic, alors placé en fourrière, qui a été démonté par les intéressés en utilisant les moyens techniques du service. Contrairement à ce soutient l'appelant, l'utilisation de ces images des caméras de surveillance afin d'établir la réalité des faits retenus à son encontre ne constitue pas un manquement de la commune à son obligation de loyauté à son égard, alors même que ces images ont été conservées au-delà du délai légal, et peuvent donc légalement constituer le fondement de la sanction disciplinaire en cause. En outre, la relaxe de M. D... prononcée au bénéfice du doute par le tribunal de grande instance d'Avignon le 18 juin 2019 des chefs de vol et de dégradation ou détérioration volontaire du bien d'autrui causant un dommage léger ne lie pas la cour.
8. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. D... a installé des caméras clandestines sur son lieu de travail, enregistrant ainsi ses collègues de travail à leur insu pendant leur temps de travail, puis s'est présenté au service des ressources humaines en demandant un traitement bienveillant de son cas à la suite des évènements du 22 février 2015, sous la menace d'utiliser ces enregistrements et de dénoncer un ensemble de comportements répréhensibles.
9. Les faits décrits ci-dessus sont constitutifs d'un manquement grave au devoir de probité et portent atteinte à l'image de la collectivité. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. D... a volontairement déclaré avoir travaillé certaines heures le 15 février 2015 sans l'avoir fait afin d'obtenir un supplément de rémunération. Un tel comportement constitue également un manquement au devoir de probité. L'ensemble des faits ainsi retenus à l'encontre de M. D... sont fautifs et, eu égard à leur gravité, la sanction de révocation prononcée par le maire de la commune d'Avignon n'est pas disproportionnée.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 mai 2016 et ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte. Ces conclusions réitérées en appel doivent également être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune d'Avignon, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à M. D... la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'appelant la somme que demande la commune d'Avignon sur le fondement de ces mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune d'Avignon présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et à la commune d'Avignon.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019, où siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme G..., présidente-assesseure,
- M. Sanson, conseiller.
Lu en audience publique, le 5 décembre 2019.
Il lui reproche de s’être rendu sur son lieu de travail en dehors de ses heures de service, pour s’emparer, avec la complicité d'un collègue, de pièces d'un Renault Scénic en fourrière, qu’ils démontent avec les moyens techniques du service. Les témoignages d’un agent d'astreinte et du chef de la police municipale qui visionne les enregistrements des caméras de surveillance confirment les faits.
En l’absence de texte, l’employeur, tenu d’établir les faits sur lesquels il fonde une sanction, peut en apporter la preuve par tout moyen. Cependant, il est tenu à une obligation de loyauté vis-à-vis des agents et ne saurait s’appuyer sur des pièces ou documents obtenus en méconnaissance de cet impératif, sauf intérêt public majeur, le juge appréciant la légalité de la sanction au regard des pièces qu’il pouvait valablement retenir.
L’agent fait logiquement valoir un manquement de loyauté de la commune, qui a eu recours aux images des caméras de surveillance pour établir la réalité des faits retenus contre lui. Mais le juge ne voit aucun manquement à l’obligation de loyauté, même si les images ont été conservées au-delà du délai légal et peuvent valablement fonder la sanction. Par ailleurs, la décision de relaxe au bénéfice du doute, prononcée par le tribunal judiciaire le 18 juin 2019 pour vol, dégradation ou détérioration volontaire du bien d’autrui, ne saurait s’imposer à la commune.
L’utilisation de caméras clandestines
En outre, le fonctionnaire a installé des caméras clandestines sur son lieu de travail pour enregistrer ses collègues à leur insu, et a tenté de faire pression sur le service des ressources humaines à qui il réclame un traitement bienveillant de sa situation, menaçant d’utiliser ces enregistrements pour dénoncer un ensemble de comportements répréhensibles.
De surcroît, il réalise une fausse déclaration d’un certain nombre d’heures supplémentaires, dans le seul but d’obtenir un supplément salarial.
Dans l’échelle des sanctions, la révocation constitue la dernière des mesures disciplinaires susceptibles d’être prononcées (article 89 de la loi n° 84–53 du 26 janvier 1984). Il appartient au juge saisi de moyens en ce sens, de vérifier que les manquements sont bien de nature à justifier une sanction et la proportionnalité de la mesure prononcée. Dans l’affaire, le comportement de l’intéressé constitue un manquement grave à son devoir de probité et porte atteinte à l’image de son employeur. La gravité de l’ensemble des faits retenus est bien de nature à justifier une sanction du niveau de la révocation.
Attention : la cour vérifie que le directeur général des services disposait bien, dans le cadre d’un arrêté publié et transmis au contrôle de légalité, d’une délégation de signature pour les décisions relevant du service ressources humaines, au nombre desquelles figurent les sanctions, et dont l’absence aurait entaché la décision d’illégalité pour incompétence de son auteur.
CAA Marseille n° 19MA02446 M. C du 5 décembre 2019.
Pierre-Yves Blanchard le 01 décembre 2020 - n°1699 de La Lettre de l'Employeur Territorial
- Conserver mes publications au format pdf help_outline
- Recevoir par mail deux articles avant le bouclage de la publication.help_outline
- Créer mes archives et gérer mon fonds documentairehelp_outline
- Bénéficier du service de renseignements juridiqueshelp_outline
- Bénéficier du service InegralTexthelp_outline
- Gérer mon compte abonnéhelp_outline